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LE BRIN D'HERBE

LE BRIN D'HERBE 


Demi-nu sur le gazon
Un enfant joue. Un garçon
            Fort, superbe ;
Quatre ans ; il en vivra cent.
Ce bel enfant florissant
            Cueille une herbe.
Il la met entre ses dents.
Juin rit dans les cieux ardents.
            L’enfant joue

Et chante en mordant sa fleur.
… Qu’as-tu donc ? Quelle pâleur
            A ta joue !

Tout à coup on voit l’enfant,
Livide et comme étouffant,
            Bouche amère,
Sueur au front, se rouler
Et, frissonnant, appeler…
            Pauvre mère !

Dépêche-toi d’accourir
Pour voir ton enfant mourir !
            Le cher être,
Qui, lui, n’était pas méchant,
Ne soupçonnait pas qu’un champ
            Est un traître.

Cette herbe était un poison.
Quel vide dans la maison !
            Ah ! nature !
Ah ! tes produits, les voilà !
Création qui hais la
            Créature !

_________
Un autre petit enfant,
Livide, et comme étouffant,
            Bouche amère,
Sueur au front, s’affaiblit…
Demain on fera son lit
            Dans la terre.


Mères ! le bonheur est court.
Le médecin ! il accourt !
            Il commande
Pour le cher être abattu
Une herbe dont la vertu
            Est très grande.

On a le flacon d’un bond !
Mais le petit moribond,
            Que dégoûte
L’aspect seul de la cuiller,
Refuse d’en avaler
            Une goutte.

Il s’obstine et se roidit.
Le docteur, dont il maudit
            La visite,
Entre ses dents qu’il défend
Fourre la cuiller… L’enfant
            Ressuscite !

Il se refait par degrés.
Et bientôt vous le verrez
            Fort, superbe ;
Il expirait en naissant ;
Quatre ans ; il en vivra cent…
            Et cette herbe

Qui rouvre ainsi ses doux yeux
À la lumière des cieux,
            Chose étrange,
Cet aide du médecin,
Est justement l’assassin
            De l’autre ange !


La nature alors parla :
« Oui, c’est vrai, l’herbe qui l’a
            Arrachée,
La douce proie, au trépas,
Oui, c’est l’herbe que tu m’as
            Reprochée.

« Un peu de son suc ami
Refait de l’enfant blêmi
            L’enfant rose ;
Mais il faut savoir comment,
Et l’apprêt, et le moment,
            Et la dose.

« Il faut savoir ! C’est le mot.
Je vous aime, mais il faut
            Que l’on m’aide.
La science, elle, m’absout.
Hommes, rien n’est poison, tout
            Est remède.

« Tout est bon pour le savant.
La même plante est, suivant
            L’occurrence,
Le meurtre ou la guérison.

Il n’existe qu’un poison,
             L’ignorance. »

(POÈME de AUGUSTE VACQUERIE)

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